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Renaud Dély / OLIVIER ROLLER - JC LATTES.

« La gauche doit revenir au réel »

FONDAMENTAL est par­te­naire de Poli­téïa, le fes­ti­val des idées, qui a lieu à Thion­ville du 13 au 16 mars. Cette année, le thème est le pro­grès. Le jour­na­liste Renaud Dély par­ti­ci­pe­ra dimanche 16 mars à une table-ronde inti­tu­lée « Le pro­grès est-il de droite ou de gauche ?», avec l’éditorialiste Eugé­nie Bas­tié et l’historienne Michèle Riot-Sar­cey. Il est l’au­teur de nom­breux ouvrages dont Ana­to­mie d’une tra­hi­son : la gauche contre le pro­grès (Édi­tions de l’Observatoire). Nous l’a­vons rencontré. 

Notre époque est pétrie de popu­lismes, conser­va­tismes et bel­li­cismes. Vous écri­vez que la gauche a per­du le sens du pro­grès. Mais qui l’a encore ? 

Dans nos socié­tés occi­den­tales, la perte de foi dans le pro­grès est une perte de confiance de l’être humain en ses propres capa­ci­tés, celles de construire un ave­nir meilleur, de maî­tri­ser non seule­ment la tech­no­lo­gie mais aus­si son des­tin. Je me suis atta­ché à la gauche fran­çaise, pas parce qu’elle aurait le mono­pole du pro­grès, mais parce que son des­tin est intrin­sè­que­ment lié à cette idée. Si elle ne croit plus au pro­grès, elle ne croit plus en elle-même.

Depuis le XIXe siècle, la gauche a tou­jours été divi­sée sur ce thème, les uns célè­brant l’émancipation et les autres déplo­rant la déshu­ma­ni­sa­tion et l’aliénation…

Ce cli­vage existe depuis les Lumières ! Mais il a pu être dépas­sé par une vision col­lec­tive, des­si­nant les contours d’un monde meilleur. C’étaient « les len­de­mains qui chantent ». La gauche s’est unie autour de cela. Or cette croyance a dis­pa­ru de son uni­vers men­tal, elle a été rem­pla­cée par une rhé­to­rique défen­sive, visant, par exemple, à sau­ve­gar­der les acquis sociaux. La gauche est aujourd’hui en réac­tion à une évo­lu­tion du monde qui lui serait fon­ciè­re­ment défa­vo­rable. Je pense au contraire que l’évolution du monde ne lui est pas hos­tile par nature. C’est elle qui a ren­du les armes et se trouve dos au mur.

N’a‑t-elle pas rem­pli ses objec­tifs his­to­riques ? L’ancrage de la Répu­blique au XIXe siècle, la réduc­tion des injus­tices sociales au XXe. Ses mis­sions accom­plies, elle n’aurait plus d’utilité…

Si l’on résume à grands traits, il y une gauche révo­lu­tion­naire et une gauche réfor­miste. La pre­mière a mené un pro­jet tota­li­taire qui a fini par échouer, avec la misère des pays de l’Est. La seconde s’est épui­sée de ses propres suc­cès, en ayant par­ti­ci­pé à l’amélioration des condi­tions maté­rielles de la popu­la­tion, à la réduc­tion des inéga­li­tés et à l’épanouissement indi­vi­duel. Celle-là peine à des­si­ner un nou­vel hori­zon col­lec­tif. L’écologie illustre bien cette panne idéo­lo­gique. Après les années Jos­pin, la gauche a cher­ché son salut dans la réponse aux défis cli­ma­tiques. Mais, au lieu d’un pro­jet accou­chant d’un monde meilleur, elle a adop­té un dis­cours catas­tro­phiste. Les pro­po­si­tions concrètes sont sou­vent per­çues comme puni­tives. Cela ne fonc­tionne pas. 

On pose la ques­tion de Lénine : que faire ?

Je ne crois pas à la droi­ti­sa­tion des socié­tés occi­den­tales, à une fata­li­té qui rui­ne­rait tout espoir élec­to­ral à gauche. Celle-ci peut certes s’emparer des sujets réga­liens, la sécu­ri­té notam­ment, et y appor­ter des solu­tions qui ne sont pas celles de la droite et de l’extrême droite. Mais elle doit aus­si arrê­ter de se réfu­gier dans le verbe et reve­nir au réel. Le réel n’est ni de gauche, ni de droite, il faut s’en empa­rer, arrê­ter d’en avoir peur. La droite, elle, l’a fait : elle a accep­té l’IVG, le mariage pour tous, la PMA. Un cacique de l’UDR endor­mi dans les années 1970 qui se réveille­rait aujourd’hui aurait l’impression que la France est à gauche ! 

Si le pro­grès a déser­té la sphère poli­tique, ne serait-il pas ailleurs ? Cha­cun a accès à des choix de consom­ma­tion d’une varié­té infi­nie, on accède à la culture d’un seul clic, les liber­tés indi­vi­duelles n’ont jamais été aus­si grandes…

Le pro­grès reste une aspi­ra­tion humaine pro­fonde, qui s’inscrit tou­jours dans une ten­sion entre l’individuel et le col­lec­tif. Aujourd’hui, les outils d’individualisation du mode de vie et le recul appa­rent de la norme sociale peuvent être per­çus comme des fac­teurs de bien-être. Or ils posent des pro­blèmes nou­veaux, car le lien social se dis­tend. Le confort du consom­ma­teur va à l’encontre du col­lec­tif et des moments de par­tage, où l’on fait socié­té. Le sens du pro­grès, c’est de pou­voir pen­ser et lier les deux dimensions. 

PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS PRISSETTE