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Buste d'Aristote. Palazzo Altemps. Wikipedia/CC

La démocratie participative, un projet de civilisation

PRÉSENTÉE comme une réponse inno­vante à la défiance des citoyens envers les élus, la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive puise ses fon­de­ments dans l’histoire de la pen­sée poli­tique. Dans l’Antiquité et depuis les Lumières, les phi­lo­sophes se sont inter­ro­gés. Com­ment garan­tir le res­pect de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire ? Qu’est-ce qui fonde la légi­ti­mi­té des déci­sions ? Com­ment s’assurer de la capa­ci­té des citoyens à façon­ner leur destin ? 

Un idéal de vie en collectivité 

LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE n’est pas nou­velle. Elle est inhé­rente à l’idée même de démo­cra­tie. Les Grecs pro­meuvent déjà la par­ti­ci­pa­tion, au sens d’un exer­cice citoyen. Voire d’un idéal de vie en col­lec­ti­vi­té. « L’œuvre de la poli­tique est d’engendrer l’amitié », selon Aris­tote (Éthique à Eudème). C’est-à-dire une soli­da­ri­té objec­tive, l’esprit d’une com­mu­nau­té. Il s’agit de consa­crer un temps col­lec­tif à réflé­chir aux affaires publiques. Même si ce « col­lec­tif » exclut à l’époque les femmes, les esclaves, les métèques et les enfants.

Deux mil­lé­naires plus tard, Han­nah Arendt renou­velle cette concep­tion. Dans La Condi­tion de l’homme moderne (1958), elle avance que la poli­tique est moins une affaire d’administration que d’action concer­tée dans un espace par­ta­gé. Pour elle, la par­ti­ci­pa­tion n’est pas seule­ment un moyen de contrô­ler le pou­voir, c’est aus­si une condi­tion de l’épanouissement humain. La par­ti­ci­pa­tion répond à un besoin d’engagement, de co-construc­tion du monde.

Cet idéal défi­nit la démo­cra­tie comme un mode de vie, voire un pro­jet de civi­li­sa­tion. Il ne s’agit pas de légi­ti­mer une majo­ri­té – et une mino­ri­té – par un vote. Mais d’entretenir une expé­rience col­lec­tive dans une forme d’intelligence, comme l’entrevoyait John Dewey (Le Public et ses pro­blèmes, 1927). Selon lui, en cher­chant les infor­ma­tions utiles, dans un esprit de coopé­ra­tion, la par­ti­ci­pa­tion fait émer­ger les solu­tions les mieux adap­tées, et elle ren­force le sen­ti­ment d’appartenance à une com­mu­nau­té politique.

Un remède à la défiance 

PLUS PRÈS DE NOUS, la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive est davan­tage per­çue comme une solu­tion pour récon­ci­lier les citoyens avec la chose publique. Pierre Rosan­val­lon (La Contre-démo­cra­tie : la poli­tique à l’âge de la défiance, 2006) sou­ligne que les démo­cra­ties repré­sen­ta­tives affrontent au XXIe siècle une crise de confiance qui s’explique par des échecs ou des erreurs, et sur­tout par un manque de recon­nais­sance entre gou­ver­nants et gouvernés. 

Rosan­val­lon insiste lui aus­si sur les dif­fé­rentes « formes d’implication » du citoyen, sus­cep­tible de s’engager dans des dis­po­si­tifs de co-pro­duc­tion des poli­tiques publiques. Les mobi­li­sa­tions popu­laires n’ont pas uni­que­ment pour but de pro­tes­ter ou d’opérer un contrôle du pou­voir. Au-delà d’un simple cor­rec­tif, la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive peut deve­nir une dimen­sion consti­tu­tive de la démo­cra­tie moderne.

Participation ou représentation ?

LA PARTICIPATION est sou­vent mise en œuvre à l’échelle d’un thème ou d’un ter­ri­toire. La réus­site du pro­ces­sus dépend de son orga­ni­sa­tion et de son objec­tif. Les poli­to­logues regrettent que l’audience des réunions, concer­ta­tions et enquêtes publiques soit peu four­nie et qu’elle reste limi­tée aux retrai­tés et aux mili­tants. Des for­mules telles qu’une conven­tion citoyenne, avec un panel repré­sen­ta­tif d’individus tirés au sort, assurent des résul­tats bien mieux partagés. 

Par ailleurs, le renou­veau par­ti­ci­pa­tif ne dis­qua­li­fie pas les autres moda­li­tés de la démo­cra­tie. Il pose la ques­tion des enjeux à trai­ter et du niveau de confiance. Dans L’Esprit des lois (1748), Mon­tes­quieu explique que le peuple ne peut pas avoir les com­pé­tences tech­niques pour gérer toutes les affaires publiques. Mais qu’il est plei­ne­ment com­pé­tent pour choi­sir celles et ceux qui auront à le faire en son nom. 

La consti­tu­tion d’un Par­le­ment per­met à des groupes d’élus de se spé­cia­li­ser (finances, social, culture, défense…). Le sys­tème repré­sen­ta­tif invite les par­tis poli­tiques à répondre aux attentes des élec­teurs et à régu­ler leur enga­ge­ment. Il pré­sup­pose un lien de confiance fort et des contre-pou­voirs effi­caces. En ce sens, à côté de la par­ti­ci­pa­tion, c’est à la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive elle-même de se régénérer.

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