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Nicolas de Condorcet. Anonyme. Château de Versailles / Domaine public.

Le progressisme face aux démons humains

FONDAMENTAL est par­te­naire de Poli­teia, fes­ti­val des idées, qui a lieu à Thion­ville du 13 au 16 mars. Le thème de cette seconde édi­tion est le pro­grès. Nous y consa­crons une série d’articles en accès libre. 

ENTRE LE CONSERVATISME et le socia­lisme, carac­té­ri­sés par des mar­queurs idéo­lo­giques forts et cli­vants, un cou­rant de pen­sée appa­rais­sant plus ras­sem­bleur a ten­té de trou­ver sa place : le pro­gres­sisme – du latin pro­gres­sus, signi­fiant l’action d’avancer. Son idée maî­tresse est qu’une plus grande jus­tice sociale et une amé­lio­ra­tion des condi­tions de vie sont pos­sibles, à tra­vers des réformes trans­for­mant les struc­tures sociales et poli­tiques. Sur l’échiquier poli­tique, le pro­gres­sisme pour­rait occu­per le cré­neau du centre gauche. Il a d’ailleurs pro­fon­dé­ment irri­gué une par­tie de la gauche au XIXe et XXe siècles. 

En France, rares furent les par­tis qui se sont reven­di­qués du « pro­grès » dans leur appel­la­tion. Ceux qui l’ont fait n’ont guère joué les pre­miers rôles. De 1969 à 1976, le Centre démo­cra­tie et pro­grès, incar­né par Jacques Duha­mel et Joseph Fon­ta­net, n’a été qu’une des com­po­santes de la galaxie cen­triste, plu­tôt mar­quée à droite. Quant au Mou­ve­ment des pro­gres­sistes créé en 2009 par l’an­cien secré­taire natio­nal du Par­ti com­mu­niste Robert Hue, il n’eut qu’une exis­tence embryon­naire et éphé­mère. Ces deux for­ma­tions ont été mar­gi­na­li­sées par le cli­vage gauche-droite. Emma­nuel Macron, à son tour, a ten­té de s’approprier le pro­gres­sisme, en l’opposant au conser­va­tisme, au risque d’en faire un faux-nez du libé­ra­lisme. Au bout du compte, son par­ti res­sort affai­bli par la dis­so­lu­tion man­quée et l’échiquier poli­tique est davan­tage morcelé. 

La carac­té­ris­tique idéo­lo­gique majeure du pro­gres­sisme, dont le terme a été inven­té dans les années 1930, réside dans sa croyance en un pro­grès moral de l’humanité et dans les bien­faits que le déve­lop­pe­ment tech­nique et scien­ti­fique peut lui appor­ter au long d’un pro­ces­sus his­to­rique conti­nu. En cela, il est l’héritage de la phi­lo­so­phie des Lumières, qui esti­mait, à l’instar de Condor­cet, que le sens de l’histoire est le pro­grès : en adop­tant les prin­cipes de la rai­son au fur et à mesure des avan­cées de la science, on amé­lio­re­ra la condi­tion humaine. 

Mais cette linéa­ri­té a été démen­tie par le tra­gique de l’Histoire : les deux guerres mon­diales, les camps de concen­tra­tion, la bombe ato­mique, les géno­cides, la dégra­da­tion de l’environnement, la pau­vre­té per­sis­tante, les remises en cause de cer­taines avan­cées socié­tales, voire de la notion même de pro­grès, la mon­tée en puis­sance des forces natio­na­listes et popu­listes à tra­vers le monde, et, der­nier épi­sode de cette suc­ces­sion de mal­heurs, le réar­me­ment de l’Europe consé­cu­tif à la guerre en Ukraine. 

Autant de sou­bre­sauts qui montrent que le pro­gres­sisme, louable dans ses prin­cipes et ses objec­tifs, est confron­té à des forces obs­cures et vio­lentes affec­tant le des­tin des peuples. Même s’il est indé­niable que l’humanité a enre­gis­tré des pro­grès majeurs au fil des siècles, il faut gar­der à l’esprit que, comme la démo­cra­tie, ils ne sont jamais acquis défi­ni­ti­ve­ment. Ils peuvent s’accompagner de régres­sions et d’épreuves funestes, pro­vo­quées par les hommes eux-mêmes.

JEAN-PIERRE BÉDÉÏ