FONDAMENTAL est partenaire de Politéïa, le festival des idées, qui a lieu à Thionville du 13 au 16 mars. Cette année, le thème est le progrès. Nous publions dans ce cadre une série d’éclairages.
D’OÙ VIENNENT notre morale, nos valeurs, nos convictions intimes ? Pas seulement de l’éducation. Ni uniquement de notre liberté de conscience. Depuis l’Antiquité, elles sont le produit des découvertes scientifiques et des révolutions technologiques. Le progrès bouleverse la vie humaine. Il est célébré quand il répond aux aspirations. Ces derniers temps, il inquiète beaucoup.
Commençons à la Renaissance. En 1455, Gutenberg invente l’imprimerie. Cette innovation va accélérer l’essor du protestantisme. En 1517, Martin Luther diffuse massivement, par imprimé, les 95 thèses de la Réforme. Il en résultera huit guerres de religion en France. Mais le monopole de l’Église sur le savoir s’affaiblit, et la lecture personnelle des textes religieux ouvre la voie à une individualisation croissante de la foi, précédant l’individualisme contemporain.
Au XVIIIe siècle, les Lumières adoptent la raison et la science comme fondements de la pensée et du progrès humain. Physique, biologie, botanique… Toutes les recherches sont valorisées. Les conséquences politiques sont connues : la fin de l’Ancien régime et l’avènement d’une société plus égalitaire. Pour Auguste Comte, la société passe alors de l’état théologique (la religion expliquant tout) à l’état métaphysique (l’explication par les idées) puis elle atteindra l’état positif (la science et la raison triomphant).
Au XIXe siècle, la révolution industrielle redéfinit en profondeur les relations humaines. Travail, famille, santé… tout change. Les usages de la machine à vapeur (créée par James Watt en 1769) entraînent l’essor des usines, le déclin du modèle agricole et l’urbanisation. On peut exercer de nouveaux métiers : la notion d’enrichissement par l’effort, la conquête de sa propre liberté grâce au salaire, s’installent, en même temps que les nouvelles formes de solidarité. Karl Marx explique que la technologie peut certes libérer les travailleurs dans un projet politique d’égalité. Mais, entre les mains de la bourgeoisie, elle les aliène.
La famille, elle, change de dimension et de valeur. Son modèle élargi, dominant dans les campagnes, laisse place à la famille nucléaire. Parallèlement, la vaccination (Edward Jenner, 1796), la lutte contre les infections (Louis Pasteur entre 1860 et 1885), les mesures d’antisepsie (Joseph Lister, 1867) réduisent la mortalité. Conséquence, on a désormais moins d’enfants et chacun suscite une attention nouvelle. Selon l’analyse d’Émile Durkheim, forgée à la fin du XIXe siècle, la solidarité mécanique, autrefois fondée sur la similitude des individus, est remplacée par la solidarité organique, répondant à la complémentarité et l’interdépendance.
Au XXe siècle, la pilule contraceptive transforme encore davantage les relations entre les sexes en offrant aux femmes un contrôle sans précédent de leur fécondité. Leur émancipation et leur accès aux études et au travail redéfinissent les rôles au sein du couple, contribuant à davantage d’égalité. Par ailleurs, la diffusion massive de l’automobile ou, plus tard, du téléphone individuel, accentuent le sentiment de liberté personnelle, qui s’en trouve de plus en plus valorisé pour soi et admis pour les autres. Dans une critique célèbre de la modernité, Michel Foucault estime que l’État utilise la science pour réguler la population.
Quel sera l’héritage moral du XXIe siècle ? Depuis l’invention d’internet en 1990, l’essor du numérique s’accompagne de perturbations majeures sur la santé mentale et la vie démocratique, tout en libérant un temps considérable et en donnant un accès sans limite aux savoirs et aux divertissements individualisés. La maîtrise des impacts sociétaux n’est pas accomplie. Jean Baudrillard alertait sur le risque que la modernité ne remplace le monde réel par un monde d’images et de simulacres, déconnecté de toute expérience directe. En outre, le séquençage du génome humain en 2003 et, plus près de nous, le développement de l’intelligence artificielle soulèvent d’autres débats éthiques. Ceux-ci ont toujours eu lieu dans l’histoire, ils seront nécessairement tranchés.
NICOLAS PRISSETTE