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MyRandomArts / Pixabay / CC

La science, origine des révolutions sociétales

FONDAMENTAL est par­te­naire de Poli­téïa, le fes­ti­val des idées, qui a lieu à Thion­ville du 13 au 16 mars. Cette année, le thème est le pro­grès. Nous publions dans ce cadre une série d’éclairages.

D’OÙ VIENNENT notre morale, nos valeurs, nos convic­tions intimes ? Pas seule­ment de l’éducation. Ni uni­que­ment de notre liber­té de conscience. Depuis l’Antiquité, elles sont le pro­duit des décou­vertes scien­ti­fiques et des révo­lu­tions tech­no­lo­giques. Le pro­grès bou­le­verse la vie humaine. Il est célé­bré quand il répond aux aspi­ra­tions. Ces der­niers temps, il inquiète beaucoup.

Com­men­çons à la Renais­sance. En 1455, Guten­berg invente l’imprimerie. Cette inno­va­tion va accé­lé­rer l’essor du pro­tes­tan­tisme. En 1517, Mar­tin Luther dif­fuse mas­si­ve­ment, par impri­mé, les 95 thèses de la Réforme. Il en résul­te­ra huit guerres de reli­gion en France. Mais le mono­pole de l’Église sur le savoir s’affaiblit, et la lec­ture per­son­nelle des textes reli­gieux ouvre la voie à une indi­vi­dua­li­sa­tion crois­sante de la foi, pré­cé­dant l’individualisme contemporain.

Au XVIIIe siècle, les Lumières adoptent la rai­son et la science comme fon­de­ments de la pen­sée et du pro­grès humain. Phy­sique, bio­lo­gie, bota­nique… Toutes les recherches sont valo­ri­sées. Les consé­quences poli­tiques sont connues : la fin de l’Ancien régime et l’avènement d’une socié­té plus éga­li­taire. Pour Auguste Comte, la socié­té passe alors de l’état théo­lo­gique (la reli­gion expli­quant tout) à l’état méta­phy­sique (l’explication par les idées) puis elle attein­dra l’état posi­tif (la science et la rai­son triomphant).

Au XIXe siècle, la révo­lu­tion indus­trielle redé­fi­nit en pro­fon­deur les rela­tions humaines. Tra­vail, famille, san­té… tout change. Les usages de la machine à vapeur (créée par James Watt en 1769) entraînent l’essor des usines, le déclin du modèle agri­cole et l’urbanisation. On peut exer­cer de nou­veaux métiers : la notion d’enrichissement par l’effort, la conquête de sa propre liber­té grâce au salaire, s’installent, en même temps que les nou­velles formes de soli­da­ri­té. Karl Marx explique que la tech­no­lo­gie peut certes libé­rer les tra­vailleurs dans un pro­jet poli­tique d’égalité. Mais, entre les mains de la bour­geoi­sie, elle les aliène.

La famille, elle, change de dimen­sion et de valeur. Son modèle élar­gi, domi­nant dans les cam­pagnes, laisse place à la famille nucléaire. Paral­lè­le­ment, la vac­ci­na­tion (Edward Jen­ner, 1796), la lutte contre les infec­tions (Louis Pas­teur entre 1860 et 1885), les mesures d’antisepsie (Joseph Lis­ter, 1867) réduisent la mor­ta­li­té. Consé­quence, on a désor­mais moins d’enfants et cha­cun sus­cite une atten­tion nou­velle. Selon l’analyse d’Émile Dur­kheim, for­gée à la fin du XIXe siècle, la soli­da­ri­té méca­nique, autre­fois fon­dée sur la simi­li­tude des indi­vi­dus, est rem­pla­cée par la soli­da­ri­té orga­nique, répon­dant à la com­plé­men­ta­ri­té et l’interdépendance. 

Au XXe siècle, la pilule contra­cep­tive trans­forme encore davan­tage les rela­tions entre les sexes en offrant aux femmes un contrôle sans pré­cé­dent de leur fécon­di­té. Leur éman­ci­pa­tion et leur accès aux études et au tra­vail redé­fi­nissent les rôles au sein du couple, contri­buant à davan­tage d’égalité. Par ailleurs, la dif­fu­sion mas­sive de l’automobile ou, plus tard, du télé­phone indi­vi­duel, accen­tuent le sen­ti­ment de liber­té per­son­nelle, qui s’en trouve de plus en plus valo­ri­sé pour soi et admis pour les autres. Dans une cri­tique célèbre de la moder­ni­té, Michel Fou­cault estime que l’État uti­lise la science pour régu­ler la population.

Quel sera l’héritage moral du XXIe siècle ? Depuis l’invention d’internet en 1990, l’essor du numé­rique s’accompagne de per­tur­ba­tions majeures sur la san­té men­tale et la vie démo­cra­tique, tout en libé­rant un temps consi­dé­rable et en don­nant un accès sans limite aux savoirs et aux diver­tis­se­ments indi­vi­dua­li­sés. La maî­trise des impacts socié­taux n’est pas accom­plie. Jean Bau­drillard aler­tait sur le risque que la moder­ni­té ne rem­place le monde réel par un monde d’images et de simu­lacres, décon­nec­té de toute expé­rience directe. En outre, le séquen­çage du génome humain en 2003 et, plus près de nous, le déve­lop­pe­ment de l’intelligence arti­fi­cielle sou­lèvent d’autres débats éthiques. Ceux-ci ont tou­jours eu lieu dans l’histoire, ils seront néces­sai­re­ment tranchés.

NICOLAS PRISSETTE