PRÉSENTÉE comme une réponse innovante à la défiance des citoyens envers les élus, la démocratie participative puise ses fondements dans l’histoire de la pensée politique. Dans l’Antiquité et depuis les Lumières, les philosophes se sont interrogés. Comment garantir le respect de la souveraineté populaire ? Qu’est-ce qui fonde la légitimité des décisions ? Comment s’assurer de la capacité des citoyens à façonner leur destin ?
Un idéal de vie en collectivité
LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE n’est pas nouvelle. Elle est inhérente à l’idée même de démocratie. Les Grecs promeuvent déjà la participation, au sens d’un exercice citoyen. Voire d’un idéal de vie en collectivité. « L’œuvre de la politique est d’engendrer l’amitié », selon Aristote (Éthique à Eudème). C’est-à-dire une solidarité objective, l’esprit d’une communauté. Il s’agit de consacrer un temps collectif à réfléchir aux affaires publiques. Même si ce « collectif » exclut à l’époque les femmes, les esclaves, les métèques et les enfants.
Deux millénaires plus tard, Hannah Arendt renouvelle cette conception. Dans La Condition de l’homme moderne (1958), elle avance que la politique est moins une affaire d’administration que d’action concertée dans un espace partagé. Pour elle, la participation n’est pas seulement un moyen de contrôler le pouvoir, c’est aussi une condition de l’épanouissement humain. La participation répond à un besoin d’engagement, de co-construction du monde.
Cet idéal définit la démocratie comme un mode de vie, voire un projet de civilisation. Il ne s’agit pas de légitimer une majorité – et une minorité – par un vote. Mais d’entretenir une expérience collective dans une forme d’intelligence, comme l’entrevoyait John Dewey (Le Public et ses problèmes, 1927). Selon lui, en cherchant les informations utiles, dans un esprit de coopération, la participation fait émerger les solutions les mieux adaptées, et elle renforce le sentiment d’appartenance à une communauté politique.
Un remède à la défiance
PLUS PRÈS DE NOUS, la démocratie participative est davantage perçue comme une solution pour réconcilier les citoyens avec la chose publique. Pierre Rosanvallon (La Contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, 2006) souligne que les démocraties représentatives affrontent au XXIe siècle une crise de confiance qui s’explique par des échecs ou des erreurs, et surtout par un manque de reconnaissance entre gouvernants et gouvernés.
Rosanvallon insiste lui aussi sur les différentes « formes d’implication » du citoyen, susceptible de s’engager dans des dispositifs de co-production des politiques publiques. Les mobilisations populaires n’ont pas uniquement pour but de protester ou d’opérer un contrôle du pouvoir. Au-delà d’un simple correctif, la démocratie participative peut devenir une dimension constitutive de la démocratie moderne.
Participation ou représentation ?
LA PARTICIPATION est souvent mise en œuvre à l’échelle d’un thème ou d’un territoire. La réussite du processus dépend de son organisation et de son objectif. Les politologues regrettent que l’audience des réunions, concertations et enquêtes publiques soit peu fournie et qu’elle reste limitée aux retraités et aux militants. Des formules telles qu’une convention citoyenne, avec un panel représentatif d’individus tirés au sort, assurent des résultats bien mieux partagés.
Par ailleurs, le renouveau participatif ne disqualifie pas les autres modalités de la démocratie. Il pose la question des enjeux à traiter et du niveau de confiance. Dans L’Esprit des lois (1748), Montesquieu explique que le peuple ne peut pas avoir les compétences techniques pour gérer toutes les affaires publiques. Mais qu’il est pleinement compétent pour choisir celles et ceux qui auront à le faire en son nom.
La constitution d’un Parlement permet à des groupes d’élus de se spécialiser (finances, social, culture, défense…). Le système représentatif invite les partis politiques à répondre aux attentes des électeurs et à réguler leur engagement. Il présuppose un lien de confiance fort et des contre-pouvoirs efficaces. En ce sens, à côté de la participation, c’est à la démocratie représentative elle-même de se régénérer.
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